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Entretien avec Zineb Benrahmoune Idrissi, pionnière en permaculture au Maroc

Pourquoi la dimension humaine est essentielle à tout projet permaculture ?

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Pourquoi la dimension humaine est essentielle à tout projet permaculture ?

Lamiaa Biaz, fondatrice de Captain Forest, a rencontré Zineb Benrhamoune Idrissi en 2020 pour visiter sa ferme en permaculture à Rabat, au Maroc. Ce qui a le plus frappé Lamiaa dans le projet de Zineb, c’est l’importance de la dimension sociale. La permaculture ne consiste pas à jardiner ou à utiliser des méthodes durables, mais à construire une harmonie entre l’homme, la société et la nature. Dans cet entretien exclusif avec Captain Forest, Zineb Benrahmoune Idriss explique pourquoi la dimension humaine est essentielle à tout projet de permaculture.

Q : Pouvez-vous nous dire qu’est-ce qui vous a amené à faire de la permaculture ?

Au départ, je n’ai jamais vraiment cherché à faire de la permaculture, je ne connaissais pas ce terme. J’avais quelques déceptions sur la façon dont l’agriculture était pratiquée et les écosystèmes gérés. Ces déceptions ont provoqué en moi un déclic.

La visite d’un projet agroécologiste dans la région de Montpellier, ainsi que la lecture du premier livre écrit par Pierre Rabhi « Du Sahara aux Cévennes » m’ont réconciliée avec le monde agricole et confortée dans mes convictions de l’instant.

Ceci m’a poussé à chercher à acquérir un terrain. La chose qui m’animait plus que tout était de rétablir une harmonie entre le monde humain et le monde végétal et animal.

Q : Qu’est-ce qui vous a déçu en particulier ?

Je participais occasionnellement à des études d’impact en tant que spécialiste en botanique et en écologie forestière. Nous produisions beaucoup de documents, mais je constatais que sur le terrain, peu de choses étaient mises en pratique.

Je voyais aussi que dans le monde agricole il y avait d’une part l’agriculture traditionnelle très pénible avec très peu de rendement, et d’autre part l’agriculture conventionnelle qui entretenait une forme d’arrogance où la science et la technique se considéraient au-dessus du vivant : utilisation des pesticides, la guerre aux « mauvaises herbes », la monoculture, la maltraitance des animaux, etc. Je trouvais que le capitalisme était tout simplement appliqué à la Terre et à la Nature.

Q : Comment avez-vous appris le permaculture ?

Je ne connaissais aucune technique à part planter à la main ou arroser. A part la botanique et l’écologie forestière qui me permettaient de faire des lectures de paysage, la seule compétence que j’avais était l’anthropologie de terrain (grâce à ma « casquette associative » depuis quelques années). Aussi, mon sens de l’observation me permettait d’analyser et d’œuvrer tout en imitant ce qui se faisait dans la Nature. Enfin, j’ai toujours été aussi très proche des humains, ce qui pour moi est essentiel.

Je n’avais donc aucune connaissance technique, je n’avais que l’amour et la passion pour la Nature et pour l’être humain.

Au bout de quelques années, j’ai été invitée à participer à une formation en permaculture et c’est là où je me suis rendue compte que je la pratiquais sans le savoir

Q : Racontez-nous comment vous avez entrepris votre projet et comment vous êtes-vous formée tout le long de votre parcours ?

J’avais acheté en zone rurale un terrain en pente. D’habitude, pour faire de l’agriculture, les gens préfèrent opter pour un terrain plat. C’était un vrai défi pour moi, mais cette pente me plaisait car elle permettait de récupérer au maximum l’eau pluviale.

Dès le début, les questions de l’arbre et du sol vivant étaient importantes pour moi, ma première action a été de planter des arbres pour recréer un écosystème.

En 1998, ni l’information via les réseaux (Youtube par exemple) ni la littérature sur le sujet de la permaculture, n’étaient développés. J’avais appris au fil du temps à travers les expériences, et grâce à la magie des rencontres. Notamment, j’ai eu la chance d’accueillir Pierre Rahbi en personne (paix à son âme), grâce à la Présidente de l’association Terre et Humanisme Maroc, Fattouma Djerrari, qui m’avait proposé de participer à la formation d’animateurs marocains à l’agroécologie.

Lors de ces formations avec les équipes de Terre et Humanisme, j’ai renforcé mes connaissances pratiques sur les techniques de maraîchage et de conduite d’un jardin potager, alors que j’enseignais la lecture des paysages, l’écologie, la place de l’arbre et l’importance du sol vivant.

Au même moment, j’avais reçu en cadeau le livre bouleversant de Fukuoka, « La Révolution d’un Seul Brin de Paille », qui relate la philosophie et les principes de la permaculture en pratique.

Accumuler des connaissances est important, mais ce qui compte réellement en permaculture, c’est d’expérimenter.

Q : Qu’est-ce que voulez dire par là ?

J’aime cette phrase d’Einstein qui dit « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information ».

Je rencontre souvent des personnes qui sont capables de réciter par cœur des vidéos visionnées sur la permaculture, sans n’avoir jamais été sur le terrain. Lire des livres et voir des vidéos pourrait être une première étape, mais pour apprendre il faut expérimenter sur le terrain, au jour le jour.

Q : Pouvez-vous nous parler de la dimension sociale de votre projet ?

 Je considère que la dimension humaine est essentielle dans tout projet permacole. L’expérience que j’ai vécue n’était pas aisée car il fallait faire preuve de patience, parfois de dureté pour que le processus évolue, et que le projet réussisse.

La première étape consistait à trouver des coéquipiers. Très vite, j’ai pu recruter un jeune berger du voisinage, qui est devenu par la suite mon fils spirituel, Mustafa Souaada, accompagnant le projet depuis le départ et jusqu’à aujourd’hui.

Ce jeune homme connaissait les techniques de l’agriculture traditionnelle mais ne connaissait pas les méthodes d’agriculture durable. Je l’ai donc formé à l’agroécologie dans la démarche de la permaculture tout en apprenant avec lui par la pratique sur le terrain.

Avec le voisinage, l’expérience n’était pas aisée. Tout le monde observait cette femme « instruite », ni paysanne, ni citadine qui pratiquait une agriculture ni traditionnelle ni conventionnelle. La deuxième étape était donc de « s’imposer » dans le voisinage et de montrer les résultats pour devenir une source d’inspiration.

Au fil du temps j’ai mis en place une gouvernance partagée d’un projet communautaire. Cela était un véritable défi et une démarche longue à mettre en œuvre car il fallait d’abord faire adhérer au projet les représentantEs des familles rurales vulnérables qui ont rejoint le projet, un à un, une à une.

Il fallait qu’ils-elles intègrent que les succès et les échecs du projet étaient partagés. Si le travail évolue bien, et que les récoltes sont généreuses, tout le monde en bénéficie ; s’il y a des pertes, tout le monde a sa part de responsabilité.

Cette dimension de projet social et solidaire était importante à communiquer. D’ailleurs une fois que les familles rurales ont compris cette démarche, le rapport entre nous et au projet ont changé. En effet, elles se sont appropriées le projet.

Par ailleurs, ayant été militante dans une association féminine j’ai toujours tenu à ce que les hommes et les femmes touchent le même salaire. J’ai donc toujours veillé à mettre en place une égalité des salaires hommes-femmes.

Q : Comment définissez-vous la permaculture ?

La permaculture avant d’inclure l’agroécologie est une démarche de vie. La dimension humaine est fondamentale (prendre soin de l’humain et partager le surplus)

La deuxième chose importante en permaculture, c’est l’observation de la nature pour l’imiter par la suite. Les notions d’observation et d’expérimentation sur le terrain sont essentielles. Il s’agit d’adapter dans la mesure du possible les phénomènes d’éco-biologie.

Enfin, la permaculture se définit en premier lieu comme étant la culture de la durabilité. Dans cette culture, il y a une évolution car tout s’adapte en permanence dans l’espace et dans le temps, une continuité d’un état à un autre

Après plusieurs années, le système devient quasiment auto-suffisant. Il peut produire sa propre irrigation, ses propres fertilisants naturels et arriver à gérer toutes les difficultés et les maladies. Il n’aura plus besoin que d’un certain entretien de la part de l’agriculteur-trice.

Q : Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui débutent et veulent se lancer ?

La permaculture se pratique partout, à la campagne comme en ville, car il s’agit avant tout d’une philosophie de vie où l’humain et la nature font un.

Avant de démarrer un projet en permaculture, je conseille de se former obligatoirement en design pour prendre en compte les données du milieu, les ressources disponibles, et surtout le volet humain impliqué dans le projet. Aussi, chaque projet doit avoir une intention selon les capacités du porteur de projet.

Q : Un mot pour conclure cet entretien ?

Généralement lorsque les gens voient un projet qui a réussi, ils ne s’imaginent pas que pour ça il a fallu d’abord essuyer de nombreux échecs. Je suis pour ma part beaucoup « tombée » et j’ai dû me relever plus d’une fois pour continuer mon cheminement.

J’aimerai aussi dire qu’il est important que la démarche soit holistique, qu’il y ait du sens dans ce qu’on fait et dans son projet.

Prendre soin de la Terre pour pouvoir prendre soin de l’humain et de l’humanité, pour retrouver l’humanisme perdue.

Puis, partager avec l’humain, l’animal, et le végétal, dans l’amour et dans la paix, afin de recevoir la bénédiction et la baraka du Divin.

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